Fini l’écriture ! Fini les tables et les bics bleus ! On a beaucoup écrit, on a beaucoup lu, maintenant c’est le moment de dire.
Aujourd’hui, début du travail sur l’interprétation. Articulation, projection de la voix, acceptation de son timbre, jeu, théâtre, connexion avec soi, émotions générées par les mots qu’on a écrits et qu’on s’entend dire sur de la musique créée spécifiquement pour ici et pour eux.
Aujourd’hui, j’arrive et je pousse les tables contre le mur, je les empile. Je veux que la salle ressemble à autre chose que d’habitude, je veux faire de la place pour un public et pour un apprenti-slameur. Je veux les mettre en condition d’enregistrement, tout de suite. Il reste 3 séances avant d’aller au studio Melodium. 3 jeudis. Ils sont un peu inquiets de voir que l’installation a bougé : « On va faire quoi aujourd’hui madame…. ? ». « Je m’appelle pas madame, je m’appelle Marine… » (ça fait juste 42 fois que je prononce cette phrase en 2 mois !).
À peine on avait mis les pieds dans le bâtiment ce midi que Bilal nous disait : « Je vous attends depuis lundi. » Merci Bilal, on est très heureux nous aussi de venir ici…
Je vois Eslem, assise dans le couloir avec une fille que je n’ai jamais vue. « Il y a une nouvelle ?? », dis-je à Marion qui nous accueille une fois de plus avec son immense sourire…. « Oui. » Voyant mon air mi-figue mi-raisin (je pensais à la manière dont j’allais pouvoir intégrer une nouvelle élève à ce stade de la création…), elle ajoute « Ah ben c’est ça la classe-relai !! Il faut savoir toujours s’adapter…! ». Marion me présente Alyssa. Bienvenue à Alyssa ! Eslem est tellement ravie qu’il y ait une deuxième fille… Nous aussi !
On est en avance aujourd’hui. Oumar nous fait remarquer qu’il reste encore 20 minutes de récré… C’est vrai, il est 13h08. Comme souvent, ils mettent des clips sur le grand écran. Marion sort fumer. Pierre finit de s’installer. On discute, je prends des photos…
Pour démarrer l’après-midi, Pierre va leur jouer sa composition. Leur faire découvrir l’instru sur lequel ils vont parler, raconter, partager, se défouler, se mouiller, se découvrir. Ils n’ont encore rien entendu, puisque Pierre, chaque semaine, improvisait sur leurs écrits ; ce qui lui a permis d’ailleurs de trouver les idées de la compo finale, au fil des semaines… Il enregistrait les idées qui lui plaisaient et a pioché certainement ici ou là pour aboutir à la chanson qu’on va entendre aujourd’hui pour la première fois. Pierre flippe un peu. Ça se sent. D’abord, faut qu’il joue 5 parties à lui tout seul !! Il est là avec sa guitare, son looper, ses 5 pédales, et je me demande moi-même comment il va s’en sortir pour faire écouter son morceau à 8 ados qui n’ont pas une seconde idée de la performance que c’est de d’empiler la boucle rythmique, la basse, les riffs, les accords, les guitares additionnelles, sans parler de siffler (si j’ai bien compris) la mélodie des refrains… Bref. Respect !
Pierre joue son morceau, explique qu’il y a deux parties, une plus grave, plus triste, plus mineure… une plus légère, majeure… et qu’il passera de l’une à l’autre en fonction des mots, soit pour les accompagner, soit pour les décaler… Tout le monde écoute. Marion sourit. Je trouve la compo de Pierre non seulement bien foutue, mais terriblement efficace !! La partie du refrain se retient volontiers grâce à un riff qui colle au cerveau en 2 secondes, et la partie couplet véhicule des émotions à elle seule. Un texte qui a du sens et le son de leurs voix ne pourra que venir renforcer cela. Les élèves ont l’air d’aimer aussi le morceau… Ils ont déjà la mélodie sifflée en tête. On applaudit Pierre qui, soulagé, avoue : « Bon ben tant mieux !! parce que je flippais un peu ! » Ah ce Pierre…
Allez en piste ! Qui se lance le premier dans l’arène ? Eslem est volontaire. Le coaching en interprétation démarre avec son magnifique texte et en 10 mn de travail, elle a déjà fait un bond énorme en avant… « J’aime pas ma voix !! », dit-elle. « Oui mais si moi je l’aime, continue ! Dis ton texte normalement, naturellement, comme si t’étais en train de parler à ta mère !! T’es à la maison, elle est en face de toi, tu lui « dis » vraiment ces mots-là, à elle ! Vas-y, on t’écoute !! » Et la vraie Eslem apparaît, le ton est parfaitement juste, l’énergie est là, la voix part dans les aigus mais c’est normal, c’est sa voix d’adolescente un peu en colère et ça marche du feu de dieu ! Ensuite, il y aura Oumar qui a du mal à parler fort, pour l’instant c’est timide, un peu fermé, mais avec sa voix grave magnifique, je sais que dès la séance prochaine ce sera beau. Puis Antoine, le fabuleux comédien, qui nous a bien fait rire et bien fait plaisir… parce que son texte sonne ! Puis Iliès, après qui j’ai du courir parce qu’il ne voulait pas (« j’suis timide moi !! »), mais il a quand même fait l’effort. Il faudra parler plus fort, mais on y arrivera ! Bilal : j’avais préparé deux textes courts pour lui, au choix. Il a pris le 2ème. C’est encore trop « dans sa barbe » ou plutôt trop dans son survêt (puisqu’il cache sa bouche toujours avec le haut de sa veste !) mais il est content, ça se voit… Il prend plaisir à faire cette expérience, à préparer l’aventure de dans deux semaines… Jorham joue le jeu : il dit son texte avec trop de sérieux sans doute, mais c’est sa manière de gérer sa timidité. Je lui demande de parler de plus en plus fort. Il y arrive. C’est pas vraiment pas évident de faire ce qu’ils font… Je leur tire mon chapeau. Dire des mots qui parlent d’eux intimement, debout, devant tout le monde, chapeau ! Vous êtes top. Et je suis certaine que cette séance de studio vous récompensera de vos efforts. On termine par Marion, cette super géniale prof et coordinatrice, que je garderai certainement pour amie. Je l’adore. Marion dit son texte avec vérité et profondeur, comme toujours. Une phrase l’émeut. Elle pleure un peu. J’aime les gens qui savent ouvrir des vannes. Qui ont accès à leurs émotions. Qui sont d’accord pour dire qui ils sont.
Eslem veut refaire ! Elle attend son tour. Allez c’est reparti ! Et ben c’est encore beaucoup mieux qu’il y a une heure et demi. Bravo Eslem. T’as intérêt à venir le 24 à Montreuil… Sinon, c’est du gâchis. (Oui parce qu’on ne sait jamais non plus qui viendra le jour J. C’est ça aussi la classe-relais ! On s’adapte, on s’adapte… ).
Super séance. Je suis heureuse des progrès qui ont été faits. La semaine prochaine, on tâchera d’aller encore plus loin, de mettre de côté la timidité pour certains, d’approfondir les possibilités d’interprétation pour d’autres… Aujourd’hui, Alaadin manquait à l’appel. Il découvrira son texte jeudi prochain… Il a écrit des super phrases, lui aussi. Il a toujours été d’une très belle sincérité. On sent qu’il est courageux, et volontaire. J’ai hâte de les réentendre de sa bouche, en condition… Quant à Alyssa qui a juste observé aujourd’hui le travail des autres, j’espère qu’elle aura pris le temps d’écrire quelques lignes cette semaine, comme je l’y ai invitée. Il faut qu’elle rejoigne l’aventure, et je préférerais qu’elle dise ses mots à elle… plutôt que les miens.
Voilà ! Une séance de plus dont Pierre et moi sommes très heureux. On forme avec eux un vrai groupe. Avec ce que ça comporte de bienveillance des uns et des autres, de respect mutuel et d’envie d’atteindre un objectif commun. Ça change tout.
En coulisse, Pierre et moi on s’agite pour organiser la séance de studio qui arrive à grands pas ! Il faut anticiper la programmation de la rythmique, prévoir une séance d’installation la veille, briefer l’équipe du studio sur la journée ultra-chargée qui nous attend, et visualiser comment on va pouvoir tenir à 17 (!!) au studio Melodium ! Nicolas Dufournet est en vacances en Thaïlande, à l’heure où je vous parle il sirote un cocktail sur une plage déserte, je lui conseille de recharger ses batteries À BLOC…. On arrive !!!!
