« Partout les cœurs », l’histoire du clip…

Posted by lanageuse Category: Journal Tumblr, News

J’ai appelé mon voisin du 2ème étage droite et je lui ai dit : « Dis donc Vincent, ça te dirait de réaliser un clip sur une des chansons de mon album ? » . « Ben… oui.. oui.. je suis surtout monteur moi mais pourquoi pas… ben oui… ok !»  Comme Jérôme Bourdon pour le clip « Ravie », Vincent Trisolini a choisi le titre sur lequel il avait le plus envie de coller des images.  » Partout les cœurs, m’a-t-il dit. Impossible de comprendre les paroles, la musique m’emmène trop loin. À chaque fois j’ai la même émotion mais j’sais pas pourquoi ». Ben moi non plus je ne sais pas pourquoi mais ça me suffit pour me dire que si quelqu’un fait un clip sur « Partout les coeurs », je veux que ce soit lui. On a laissé un peu de temps. Il était très pris par des documentaires et des séries télévisées. Je n’étais pas pressée.

On s’est recroisé plusieurs fois dans l’escalier. Il m’a dit qu’ils allaient déménager. Mince. J’avais les meilleurs voisins du monde. Important les voisins… Il a donc déménagé.

On a échangé quelques mails, il m’a parlé de l’idée d’une déambulation…  Il me suivrait, me filmerait dans Paris. Caméra à l’épaule. Je dirais des bouts de textes. Il me filmerait parmi les gens. Il filmerait ma solitude parmi les mouvements. On me verrait moi qui dirait les paroles, fixe au milieu de la foule. Il y aurait une foule accélérée et moi en vitesse réelle.

Puis Vincent se fait une déchirure et ne peut plus bouger. Dans deux semaines, il s’en va pour 2 mois. Tourner à l’autre bout du monde.

À son retour du bout du monde, rendez-vous est pris : le tournage du clip aura lieu le 19 juillet. Enfin, pas le vrai tournage, m’explique-t-il, mais plein d’essais. Du repérage… il va me filmer juste comme ça, pour voir ce que ça donne, et qu’on puisse ensuite faire un tri dans nos idées, trouver les lieux qui nous parlent, les gestes et les situations qui racontent un truc. Le 19 juillet donc, il débarque chez moi vers 14h avec Michèle, sa femme ; dont je vous parlerai tout à l’heure. Je m’habille vite fait, un jean, une chemise légère, des bottines. Comme tous les jours. Je me maquille à peine. De toute façon pour le vrai tournage, on prendra une maquilleuse.

Je sors de chez moi, je marche jusqu’au métro Pigalle. Il me filme. Je monte dans la rame, direction Nation ; j’aime cette ligne. Il me filme. Je m’assied dans un carré. Les gens nous regardent. Un peu, pas beaucoup. La caméra se fond. Je suis comme une touriste en vacances. On passe à Anvers, Barbès, La Chapelle, il me filme, Stalingrad. Je reste debout et je descends à Jaurès, je traverse le grand carrefour, je marche en direction des quais, il me filme. Michèle suit, je crois qu’elle porte un pied. Je ne sais plus très bien. Il fait très chaud. Très beau. On est samedi. Des couples, partout des couples. Je me balade sur le quai de Jemmapes, il me filme, je pense aux gens que je croise, je pense à la solitude au milieu des autres, il me filme. Je me roule, j’accélère, je touche, je m’arrête au bord d’une fontaine, j’enjambe des tas de couple, je les dépasse, je les sème, ils s’aiment, ils s’en fichent, il me filme. J’arrive place de la République. Comme elle a changé cette place, en quelques années… Je l’aime bien mieux. Je rentre dans une bouche de métro, il me filme. Et je prends la 9, direction Pont de Sèvres. Je m’assieds sur un strapontin. Strasbourg Saint-Denis, Bonne nouvelle. Je descends. Il me filme. Je monte les escaliers, je cours, je pense à des choses rapides, je suis mes pensées, je sors. Il me filme encore. On descend les Grands-Boulevards, on s’arrête au coin boire une bière, un Perrier, et puis on repart. Rue du Faubourg-Montmartre, il fait chaud. Y a plein de gens qui se baladent, qui mangent des glaces. C’est l’été et je suis dans une bulle légère. Carrefour de Chateaudun, je croise une homme barbu avec un gentil regard. Il me donne son bras. Je le prends. Vincent nous filme. La vie paraît simple. Je remonte la rue Notre-Dame-de-Lorette jusqu’à chez moi. Il me filme jusqu’à ce que la lourde porte de mon immeuble se ferme. Le faux-vrai-tournage du clip aura duré 2h30 chrono.

Quelques jours plus tard, il  avait dérushé et monté une ourse de 11 mn avec des plans choisis mis à la file indienne… Il y avait de belles choses… Peut-être même quelques séquences à garder…

Le 21 août, il m’a envoyé une première version de 2’58. Il m’a écrit que toute idée qui sortait de ma déambulation toute simple venait « se heurter à notre volonté, depuis le départ, de créer quelque chose sans artifice ». « Pour ne pas altérer cette pureté, disait-il, il faudrait te voir à 2 ou 3 moments-clés chuchoter le texte, sans interrompre ta déambulation. Je te propose qu’on discute ensemble des moments où tu souhaiterais voir ton texte dit. On retournera les mêmes plans pour les insérer. »

On s’est vu à « La Buvette », un petit endroit que j’aime bien près de chez moi, où je faisais tous mes rendez-vous « Ravie » à ce moment-là… (Jérôme Mériaux pour le web, Sylvain Gripoix pour les photos, Jérôme Bourdon pour le clip « Ravie » , Jowan Le Besco pour un autre clip qui n’a pas abouti, tous sont passés par La Buvette !). On s’est demandé quelle histoire on voulait raconter avec nos images. Est-ce qu’il manquait des choses à la matière qu’on avait. Est-ce qu’il fallait filmer d’autres gens. Des enfants. Des amoureux. Des baisers. Qu’est-ce qu’il serait indispensable d’ajouter à la balade. Quels plans restait-t-il à tourner.

Puis le temps est passé. La nécessité d’ajouter mon texte dit par endroits s’est évanouie. « La déambulation se suffit à elle-même », conclue Vincent dès sa 2ème version. J’ai eu un peu de mal à me faire à l’idée. Mon perfectionnisme et ma méfiance à l’égard de ce qui permet de gagner du temps se sont manifestés… « Je ne pense pas que ça suffise, Vincent. La proposition est jolie mais il manque des choses. Moi qui marche dans Paris et basta, ça ne tient pas la route. Et puis le maquillage ? Je n’étais même pas maquillée… T’avais bien dit que c’était pour de faux cet après-midi de tournage, moi je pensais qu’on était juste en repérage !  Il faut retourner des plans quoi qu’il arrive, certains sont inutilisables sur un plan purement esthétique. Et puis moi, juste moi pendant 2’58, je te jure, c’est impossible… Il faut ramener des éléments de l’extérieur. Des situations, des gens, des visages, des amours, ou d’autres solitudes. (Il ne faut pas se laisser aller à la facilité, pensais-je.) Simple ok, mais vide non. » Bon j’ai un peu argumenté en ce sens, et Vincent a un peu disparu du coup. Il trouvait son idée pleine et aujourd’hui je pense qu’il avait entièrement raison.

Un an plus tard, le 13 octobre dernier, j’ai eu envie soudain de mettre ce titre sur le web. Le son et les images qui vont avec… J’ai écrit à Vincent « dis donc Vincent tu pourrais me renvoyer ta dernière version du clip s’te plaît ? j’ai envie qu’on aille au bout de ce projet ». Le 16, il me répond : « je regarde dans mes disques durs ce week-end». Et 4 jours plus tard, il m’envoie, à la place de l’ancienne, une nouvelle version ! Wahou. J’aime beaucoup. Presque tout. J’ai la certitude à ce moment-là qu’en effet non seulement ça suffit, mais c’est parce qu’il n’y a « que ça » que ça marche autant. Ça touche à quelque chose du quotidien. Avec une énergie dynamique et légère. Un texte un peu sombre sur un film que je trouve totalement solaire. Ça ressemble intimement à ce que j’ai voulu raconter, à ce que ce texte me fait quand je le dis, aux émotions qui me traversent quand je marche dans la vie. Ce clip porte la simplicité et cette dimension accessible, facile, qui doit transparaître dans tout ce qui touche à « Ravie ». J’apprends que cette 3ème version, c’est sa femme, Michèle, qui l’a montée. Retravaillée. En fonction des retours que j’avais fait quelques mois plus tôt, restés en suspens. Et en fonction de sa sensibilité. « On aura fait un travail à 6 mains », m’écrit Vincent.

Michèle George. Michèle est peintre. Dessinatrice. Graphiste. J’aime profondément son travail. Elle avait déjà fait deux dessins pour moi au commencement de « Ravie ». Je les avais publiés dans mon Journal, ils sont sublimes. Michèle est singulière, solitaire, précise, silencieuse. J’aime cette personne. Je me suis sentie, sur le coup, heureuse qu’elle ait pris part à la réalisation de cette matière. J’ai, comme toujours, regardé, attendu, regardé, attendu, et j’ai livré mes impressions. Dit ce que je voulais voir modifié. Ce qui avait disparu de la version précédente et qui me manquait. Mais j’avais l’idée surtout qu’on s’approchait de la forme définitive du clip. Dans ce film, je retrouvais bien mon état intérieur, mon « mood » habituel, mes émotions. Michèle nous avait accompagnés lors du tournage et sa présence a sûrement compté.

Le 4 novembre, j’ai reçu ce clip. Que j’aime énormément et que j’espère vous aimerez aussi.

Au final je n’ai jamais su si Vincent m’avait dit qu’on faisait un « tournage-brouillon » qui servait uniquement de test pour ne me mettre en condition de rien… pour me saisir dans mon apparence et dans mon intimité le plus « brut » possible, le moins raffiné, le moins apprêté… ou si le brouillon correspondait d’emblée à ce qu’il avait en tête, et dans ce cas, pas besoin de retourner le brouillon… J’aime l’idée que ce clip ait été tourné en un rien de temps. Cette économie figurait dans mon cahier des charges au départ. Fabriquer des images qui ne coûtent rien ou quasiment avec une seule bonne idée. Rester dans la ville. Dans ma ville. Les attentas du 13 novembre n’ont pas bougé d’un iota la liberté, la confiance et l’amitié que Paris m’inspire. Depuis ma naissance.

Voici le travail réalisé par Michèle Georges autour de l’album « Ravie » :

Michèle Trisolini_Ravie_1

© Michèle George

MarineBercot_MicheleTrisolini_Ravie

© Michèle Georges