Il faisait un temps splendide aujourd’hui quand on est sorti du RER à Sevran-Beaudottes… Un régal de printemps ! On arrive en avance pour notre 7e séance qui va consister encore à préparer la l’enregistrement. On est à J-8 !! Travail d’interprétation, 2ème round…
J’apprends à la pause clope de Marion, avant qu’on démarre, qu’Alaadin ne viendra plus. Il n’enregistrera pas. Il ne viendra même plus au collège. Du tout. Une sombre histoire de bandes des quartiers de Sevran. La bande d’Alaadin a extrêmement violemment attaqué un membre de la bande rivale. Alaadin a été menacé de mort d’abord à l’extérieur du collège…., puis maintenant à l’intérieur du collège. Il ne peut plus mettre un pied à Evariste Galois, il ne peut plus sortir de chez lui sans mettre sa vie en péril. Marion lui a parlé, il n’a qu’une idée en tête, se procurer une arme pour se défendre. Là on bascule dans une immense violence. Ça me semble surréaliste… mais proche d’un des clips de PNL (Bené), me dit mon fils. En tout cas, on a perdu Alaadin et ça, ça me contrarie énormément. J’aimais bien ce gamin. On sentait qu’il pouvait être violent, qu’il était dur, mais il a écrit des choses franchement magnifiques. Il racontait ce que sa mère lui disait : « Arrête tes blems avec la police, j’ai plus envie de venir te chercher en sang mon fils », « Arrête tes bêtises, marrie-toi, économie pour les vacances », « Sors pas dehors », « Arrive à l’heure », « Travaille à l’école », « Sois pas militaire »… Et il priait sa mère de ne pas s’inquiéter, de ne plus pleurer, il lui parlait de sa vie dans la rue, à « faire la pue » (= faire le guet pendant les trafics de stup) , et lui promettait d’arrêter un jour et de la faire vivre dans une villa. Il lui disait qu’il l’aimait parce qu’elle l’avait fait grandir. Il lui avait rappelé un souvenir qui m’avait énormément touchée : « La pire peur de ma vie, c’est quand j’ai entendu que tu allais mourir. J’avais que 5 ans. Mais Maman je sais que tu es toujours en vie Hamdoullha, Maman ne t’inquiète pas. Ton fils finira comme un bon garçon ». Bref Alaadin était très conscient du chagrin qu’il faisait à ses parents, et il était bourré d’envie de les rendre fiers. Il voulait être militaire (« Je veux sauver les gens », « Tout ce que je veux c’est être militaire pour que mes parents vivent dans le calme »). Lors du dernier atelier d’écriture, il a écrit « ça fait quoi d’être une racaille ? », puis s’est adressé à sa mère en disant « Jamais de la vie j’arrêterai l’école Maman. Ce que j’aime le plus c’est te faire sourire. J’adore quand tu rigoles. J’aime pas quand tu pleures. J’ai peur que tu meures. Je te promets que je vais travailler, promets-moi que tu me soutiendras. » Je lui avais préparé son texte à enregistrer, qui pour moi comptait beaucoup. Donc je suis très triste de savoir qu’il ne viendra pas. Et que sa voix, dynamique et assurée, ne sera pas sur la bande. C’est la vie ! (c’est la classe-relais, dit Marion !!).
Eslem, Oumar, Bilal, Antoine, Jorham, Iliès sont là !! Anissa est absente… Elle n’a pas écrit pendant la semaine, elle n’écrira pas aujourd’hui, je ne sais donc pas ce qu’elle fera le 24 mars… Dire le texte d’Alaadin n’aurait pas sens. Il faut qu’elle parle de ce qui la concerne. J’espère vraiment qu’elle voudra/pourra écrire une ou deux phrases dans les 8 jours et qu’on entendra sa voix dans la chanson.
Iliès démarre ! Il veut expédier son tour le plus vite possible, il est timide Iliès, mais j’admire beaucoup son courage de le faire quand même… J’ai bien dit et répété qu’ils étaient libres, et que rien n’était obligé. Iliès ne parle pas encore assez fort, mais il y a déjà du progrès depuis la semaine dernière. Il participe et c’est vraiment chouette.
Oumar suit : on l’a retrouvé Oumar. Il a le sourire. Il a de nouveau envie. Lui aussi a eu des problèmes de violence en classe dernièrement, il a donc été placé en stage dans les cuisines du collège. Et il bénéficie d’une autorisation spéciale pour rejoindre la classe quand Pierre et moi venons… Ouf. On a croisé la cuisinière dehors avec Marion et elle n’a fait que des compliments sur Oumar….. (« extrêmement poli », « un sourire extraordinaire », « un bonheur de l’avoir en stage » etc.). Comme quoi…. Il peut insulter et frapper un prof un jour, ça n’empêche pas l’ange de se manifester le lendemain… Ces enfants sont en réalité d’extrêmement bonne volonté. Ils sont profondément gentils, conscient, doux au fond. Ils ont juste un passé douloureux, un passif chargé, ils ont grandi dans un contexte qui a fait germer en eux de la violence, une violence qui s’exprime par pics, par a-coups, ils « pètent un cable » comme on dit… Cette semaine, me raconte Marion, c’est une bagarre entre Eslem et Iliès qui a éclaté. Il y a des bagarres régulièrement en classe-relais. De l’énergie, du chagrin, des peurs, des manques mal gérés. Des manques graves. Mais c’est tout ! Ce sont des ados super et je ne viens pas une fois ici sans avoir envie de les embrasser. Ce que j’ai fait à quelques reprises avec Oumar. Et Bilal qui me l’a demandé. Et Eslem qui, aujourd’hui, pleurait (« J’en ai marre des garçons !!! »). Oumar a dit à Marion que ça le gênait que je l’embrasse… Je suis contente qu’il l’ait exprimé. Ca n’arrivera plus. Ils ont tous l’âge d’être mes enfant bien sûr, et je les aime et les touche comme je touche mes propres enfants. Une erreur, concernant certains. Je ferai plus attention. Je ne connais pas leur rapport au corps, ils n’ont certainement pas l’habitude d’être embrassés, câlinés, et je n’avais pas pensé à ça. Je m’étais laissée « être » naturellement. Assez tactile… Et maternelle de surcroît ! Recadrage.
Le coaching en interprétation a été super aujourd’hui. Ils ont tous fait des bonds en avant !!! C’est vraiment sans comparaison avec leur premier essai. On les entend vraiment, leur voix, leur ton, leurs intonations émergent petit à petit. Je ne veux que ça : les entendre, EUX !!!
Pierre s’éclate ! Il les accompagne, s’enregistre sur son looper, puis improvise en fonction de leur texte, répond en musique à leurs phrases, c’est top ! Je ne pense pas qu’on aura le temps le 24 d’enregistrer autant de guitares, d’introduire des petites impros qui font pourtant vivre le texte comme jamais… Ah c’est sûr on manquera de temps… On sera certainement, Pierre et moi, frustrés ! Car on saura ce qui, avec une demi-journée de plus, aurait été possible ; mais il faudra être raisonnable et se contenter du présent ! On fera de notre mieux. Tous. Et ce sera ça le résultat de cette expérience qui enrichit absolument tout le monde, et c’est déjà énorme.
Donc bravo à tous, y compris Marion qui aura aussi son texte à dire le 24 !!! Quelle super personne !
Tout en coachant, je les photographiais. J’aime bien ces photos. Elles disent l’adolescence mais aussi la concentration, l’énergie et l’enthousiasme qui sont au cœur de notre aventure. J’ai hâte d’entendre leur chanson.
La semaine prochaine, dernière répétition à J-1 ! On va les faire chanter tous ensemble la petite mélodie que Pierre a composée pour le refrain, et qu’ils ont déjà dans l’oreille tant elle titille !
Il est 12h15, ils filent à la cantine et nous dans le RER B… À jeudi !