L’équipage avait le sourire, la mer était calme, le ciel dégagé : personne n’est tombé à l’eau.
Le 30 mai à 9h30. Montreuil. Music Unit. Studio B.
Julien Chirol retravaille avec nous sur la réalisation de deux chansons : « La fille » et « On sèche on plie on range ». Des histoires de famille… 🙂 On garde l’essentiel des prises réalisées en 2015 au Studio Melodium ; on réenregistre assez peu de choses… : juste mes voix, un synthé par-ci par-là et deux guitares de Pierre.
Le travail consiste essentiellement à modifier les sons, à agencer les parties un peu différemment, à renoncer à certaines bonnes idées pour en apporter de nouvelles, à modifier des équilibres entre les instruments, à rajouter un sample… Julien dérange, puis « arrange ». Toute cette phase de boulot est très agréable. On travaille vite et bien. On est d’accord à peu près sur tout, la communication est fluide, la confiance au rendez-vous : pas de perte de temps. Le 6 juin à 14h, Pierre, Julien et moi sommes prêts à mixer.
Rendez-pris avec Martin Antiphon le jeudi 9. Music Unit toujours, studio A.
Le mix est une étape que j’aime particulièrement. Je n’y connais strictement rien, sur un plan technique, mais c’est un peu comme si on assistait à la naissance du morceau ! La phase d’arrangement pourrait être comparée à la grossesse, et le mix à l’accouchement… En tout cas, c’est comme ça que je le vis. Il y a une sorte de respect naturel pour le mixeur, comparable à celui qu’on voue à l’obstétricien car la vie de notre bébé est entre ses mains ! Bon je force un peu le trait, mais y a de ça… Le bébé (le produit) a été pensé, prévu, conçu, fabriqué, il est fin prêt, et il y a un magicien qui tourne des dizaines de boutons avec précision sur son immense console, cherchant à le sublimer, ce bébé, et qui, au bout de 4 ou 5 heures de manipulation savante, le fait naître ; lui sort la tête de l’eau. C’est franchement assez beau…
J’adore ce processus. Parce qu’il y a d’abord du silence autour de la musique. Le mixeur travaille seul. Julien et moi on est sur nos ordis : Julien écoute des trucs, il bosse sur autre chose en attendant… je rédige pour ma sœur un commentaire détaillé de son prochain film, « La fille de Brest », dont je viens de visionner la troisième étape de montage (la projection avait lieu le matin même et j’ai filé au mix ensuite…). Pendant ce temps, Pierre dort à même le parquet, les bras croisés, la tête calée. Quand Martin tient la V1 du mix, il nous sonne ! Nos trois paires d’oreilles entre deux enceintes, on écoute pour la première fois vraiment. S’ensuivent la synthèse de nos impressions, nos commentaires, nos requêtes, nos questions… Puis on retourne à nos moutons : Julien et moi à nos ordis, Pierre à son oreiller, Martin à sa console. Il fait les modifs qu’on lui a demandées, enfin du moins celles qui sont possibles, celles qui ont du sens, et quand il est prêt, on écoute la V2.
En général, à ce stade, on est pas loin d’être complètement content. Il y a encore des trucs qui traînent (car en général, la résolution d’un problème en fait émerger un autre. Eh oui ! c’est toute la difficulté du mix 🙂 « Il n’y a pas de mix idéal », rappelle Julien. Il faut donc privilégier certains options et mettre son perfectionnisme en veilleuse. Bon d’accord. Martin, à qui on demandet les uns après les autres de monter le volume de tel ou tel instrument, attend patiemment la fin de nos consignes : « vous me demander de monter plein de trucs… mais je baisse quoi, alors ? » Ben oui, c’est ça le piège. On veut tout fort et au final, rien ne ressort, c’est plat, c’est chiant, c’est bruyant, c’est brouillon, le bébé a une sale gueule. Donc Martin est là pour dire « non ». Faire le tri entre ce qui mérite d’être tenté et ce qu’il diagnostique en 2 secondes comme une connerie.
On a la V3. On est très très content. Il manque plus grand-chose… Juste je demande si la guitare n’est pas un peu forte… s’il ne manque pas un tout petit peu de caisse claire… si le chœur n°3 qu’on a monté tout à l’heure, il faudrait pas le redescendre… si l’effet sur la voix s’entend assez, au final… « Mais attend, c’est vachement bien, Martin… On est vraiment sur des détails, là… « . « Le mieux est l’ennemi du bien », je pense qu’il pense… Comme il est extrêmement bon, extrêmement calme et extrêmement efficace, avec un capital sympathique au top, on se met d’accord tous les quatre sur la V4 !
Julien donne le signal de fin de mix, parce que c’est quand même lui le capitaine. « Tu la tournes, Martin ? ». Cette phase, ça veut dire que le bébé est né, qu’il a sa forme définitive, qu’il a cinq doigts à chaque main et qu’il a crié.
Martin lui met son bracelet, il s’appelle « LaFille_Mix_V1 ». Et son frère, sorti en premier, s’appelle « On sèche_Mix_V1 ». V1 parce que c’est la première version à laquelle on a tous dit oui.
Toujours ce travail d’équipe que j’aime. Toujours cette impression de voyage sur un bateau, avec un mec qui tient la barre et les membres d’un équipage qui accomplissent chacun leur tâche. Quand on trouve que le paysage est beau, quand on sent qu’on a le vent dans la dos, que la mer est chaude et qu’il y a des poissons, on jette l’ancre.